Le cabestan
Je ne suis après tout qu’une simple hypothèse,
De moi même le jeu, le pion et la synthèse,
Stratège sans armée de ma propre parade,
Navire à l’ancre, aussi, oublié en sa rade.
Naguère j’ai connu les émois des grands larges,
J’ai tiré sur l’amarre, hautain parmi les barges,
Et rêvé d’un voyage en l’océan possible,
Soulevé d’une houle, alors, presque invincible.
Mais les vents ont péris aux marées ajoutées
Jour à jour au gréement ; désormais déboutées
Les lames ne m’atteignent, lors, agonisantes,
Que pour corrompre mes élingues pourrissantes.
Mes voiles défroquées n’agrippent plus la brise,
Sinon que pour claquer, injure à l’aube grise,
Et maudire un peu plus le parjure du temps,
Au crachin qui roussit l’ancre et le cabestan.
Je n’aurai même pas l’honneur de la déroute,
Lorsque qu’une vague morte aura crevé ma soute,
Plutôt que le naufrage aux croisées des hauts-fonds,
Je serai ce gisant envasé aux limons.
Et pillé peu à peu de la proue à la poupe
Mon étrave perdue promise à la découpe ;
Enfin, noyée d’embruns, toute ma conjecture
Ne sera plus qu’un lieu sans coque ni mâture.
Quelque mollusque enfin en l’épave morbide,
Ira chercher refuge en ma membrure vide,
Jusque en ce jour prochain, où, stance diluée,
Je ne serai plus rien, onde sous la nuée.
avril 2012