Quel que soit le péril

Publié le par Lionel Droitecour

... Car ce que nous ferons demeure encore à naître / C’est contre soi, d’abord, qu’on avance et progresse ...

... Car ce que nous ferons demeure encore à naître / C’est contre soi, d’abord, qu’on avance et progresse ...

Tu gardes le regard de cet enfant blessé ;
Présente en l’homme digne et droit, cette douleur
Enfouie dedans l’intime, où gîte une souffrance,
Que tu tiens à distance et ne révèle pas.

Et puis, de toi à moi, la pointe du compas,
Dans l’esquisse épurée d’un mouvement d’errance,
À su trouver un port au redan du malheur
Et l’écho de nos voix, dans le jour, a glissé.

En moi ce lourd dépôt trouve sa résonnance
Et nous cheminerons désormais de concert,
Tu m’as ouvert un lieu où git ta déchirure :
Que sais-je rassembler des trames dénouées ?

Qu’est-ce donc que l’élan de nos stances flouées,
Ce geste de parler qui jamais ne rassure,
Ce don fait en silence aux craintes du désert,
Lorsque du cœur meurtri s’échappe la distance ?

Et qu’est ce qui en nous écoute le secret,
Dans cette rive atteinte où la confiance nue,
Enfin, du nœud gordien tranche l’énigme lente,
Celle qui nous brisait mais qui reste fracture ?

Et qu’ai-je à te donner, ami, de ma brisure,
De ma propre dépouille apeurée et sanglante,
Qui grippe dans ma chair, en morsure ténue,
Et me laisse contraint de son morne décret ?

Peut-être, en partageant nous boiterons plus droit,
Les sentes de la vie sont traverses, montantes,
Elles dévient souvent aux pentes tortueuses ;
L’âge n’allège pas le fardeau sur nos reins.

Et pourtant quelques fois nous demeurons sereins,
Ouverts face aux orées des aurores rieuses,
Oublieux dans l’instant des moires désolantes
Où gisent nos terreurs aux berges de l’effroi.

Voici ce je peux, au vaisseau de mon verbe,
Donner de dérisoire aux voiles du grand large,
L’élingue en la mâture en claque sous le vent
Nos nefs, et à plat-bord, embarquent le néant.

Nous sommes ce fétu sur le bref océan,
Y cherchons notre route et la perdons souvent,
Plutôt qu’un fier pavois, notre âme est une barge,
Un abîme est ouvert où lions notre gerbe.

Nous n’avons en nos mains, au sel des traversées,
Que l’embrun sur l’écueil et la course promise
Autant que cingle, en nous, la brise du désir :
Le but importe peu, que la camarde tient.

Il n’est rien dans le mal où le dol nous contient,
Sinon que cette force au refus de gésir,
Qui nous construit, enfin, de l’élan de la prise
Dans le défi ardent des luttes renversées.

De ce que nous serons, demain, nulle promesse,
Sinon que de tenter de vivre dignement,
Dans l’idéal prochain de la justice humaine,
Debout devant le ciel, sans déesse et sans maître.

Car ce que nous ferons demeure encore à naître,
Il est des lâchetés, en nous, à coupe pleine,
Qu’on ne peut qu’espérer vaincre, insidieusement,
C’est contre soi, d’abord, qu’on avance et progresse.

Sous le boisseau reclus de la souffrance inquiète,
En l’intime repli de l’enfance en exil,
Là où l’ulcère enfoui, inconsolé, demeure,
Sourdement il s’exhale une éternelle plainte.

Paradoxalement, où nous lie cette crainte
Il est une butée, en l’ultime demeure,
Où rien ne cédera, quel que soit le péril,
Qui devient notre force au cœur de la tempête.

mars 2013

 

Publié dans Résilience, Marine

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E
Beau ce poème merci du partage bonne journée
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