Le compotier

Publié le par Lionel Droitecour

... Je l’ai retrouvé hier en rangeant un grenier, / Dans le dédain du monde, obscurément renié ...

... Je l’ai retrouvé hier en rangeant un grenier, / Dans le dédain du monde, obscurément renié ...

Je le croyais d’argent et de cristal, naguère,
Enfant, le compotier superbe de ma mère
Qui trônait au salon : « défense d’y toucher !
Ou alors seulement, tu sais, avec les yeux ! »

Il semblait un totem à quelques dieux,
Et tel un Prométhée lié à son rocher
De loin je contemplais, objet de convoitise,
Cet ostensoir précieux, tel calice d’église.

Je lorgnais longuement l’étrange fleur bizarre,
Et mon imaginaire y rompais son amarre,
Insensiblement je commençais mon voyage,
Louvoyant vers l’azur tel un nouveau Colomb.

Amerigo rêveur, plein d’aise et plein d’aplomb
Mon âme y découvrait son ile et son rivage,
J’étais un Robinson enivré de silence,
Tout un après-midi de puérile jouissance.

Je l’ai retrouvé hier en rangeant un grenier,
Dans le dédain du monde, obscurément renié,
Intact, assurément mais dépourvu des grâces
Dont l’enfance, jadis, avait su le parer.

J’en eu le cœur soudain amer, désemparé,
Hélas, qu’il était laid, et sur toutes ses faces !
Point d’argent, ni d’étain, rien qu’un alliage terne,
De la verroterie pour ma mémoire en berne.

L’homme est un instrument façonnant le réel,
Sa voix dépeint l’azur et son œil fait le ciel,
Tout en nous, hors de nous, n’est que frémissement,
Energie et matière, mouvements, particules.

De nos sens nous créons membranes, cuticules,
Enveloppons nos vies creuses d’un ornement.
Mais tout cela, phantasme, n’est qu’une illusion,
Et nous en mesurons, un jour, la dérision.

Ainsi, stupidement, l’humble objet du désir
Révèle ce qu’il est, lorsqu’il s’en vient gésir
En cette main frustrée qui fut la notre, avide,
Mais se referme en vain en sa terrestre emprise.

L’aube n’est jamais rien qu’une lumière grise,
L’avenir en son leurre est une terre aride,
On ne découvre enfin au terme du parcours
Que l’inutilité des tous nos beaux discours.

Et tout cela gisait, amère vérité
Dans l’affreux compotier d’hier, déshérité,
Epave, rêve ancien fracassé au brisant,
J’étais l’étrave nue couchée sur le haut fond.

Nous sommes habités d’un désespoir profond
Prisonnier de ce mythe absurde, nous grisant,
Que forme cette chair promise à se dissoudre
Aux vastes univers, pareille à de la poudre.

août 2013

 

Publié dans Spiritualité

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A
Hello Lionel ... <br /> Pas de poème publié chaque jour depuis 11 jours ...<br /> Ce rendez-vous matinal me manque ...<br /> <br /> @t ... alain
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