Andrei Tarkovsky

Publié le par Lionel Droitecour

Андрей Тарковский (4 avril 1932 - 29 décembre 1986), cinéaste et sculpteur de temps

Андрей Тарковский (4 avril 1932 - 29 décembre 1986), cinéaste et sculpteur de temps

Andrei Tarkovski n’est pas un cinéaste,
Mais un sculpteur de temps, de gestes, d’émotion,
Poète pénétrant et maître de l’image
Qui met en jeu, plutôt qu’il ne veut mettre en scène.

Qui met en « Je » plutôt. Tout comme, dans la cène,
Un Messie douloureux dans l’intime partage
De sa matière même offre une rédemption.
Sa quête spirituelle, aux temps iconoclastes,

En un ciel matériel qui ne voulait pour dieux
Que des ombres figées au regard de Lénine,
Plus que la sédition, était comme une injure
Aux tenants d’un parti. Artiste Prométhée

Dans un siècle d’airain niant l’humanité,
C’est l’image de l’homme offert à la nature
Qu’il filme en plans séquence où le regard s’affine.
Le cours du temps emplit l’espace de nos yeux,

Pour nous rendre sensible à ce miracle humain
De mouvoir sous le ciel notre humble certitude.
Sa caméra nous place en dialogue frontal
Avec l’objet filmé, qu’il soit vif, animé,

Ou bien qu’il soit inerte, habité, arrimé
Au réel qu’il invite au rituel primordial.
Et les quatre éléments paraissent un prélude
Au mime de l’acteur ; façonnent dans sa main

Les fragments d’un destin, gestes universels ;
Frêle, dans l’intervalle aux vastes perspectives
Qui trace l’infini dans la course des cieux.
L’homme n’est que rumeur, murmure d’un ruisseau

Etanché sous l’azur qui recueille ces eaux
Pour abreuver les nues. Vagues aux jours radieux,
Moutonnant lentement en de molles dérives
Pour féconder, en pluie, la terre des mortels.

Tout est écoulement dans cette œuvre subtile
D’un poète discret dévoilant comme lieux
Les miroirs de nos vies. On ressent les moiteurs,
La flamme incandescente où le brasier consume,

L’aire sacrificielle où notre absence fume,
Dissipant sa noirceur aux vents, dans les hauteurs ;
On ressent cet appel au cri inharmonieux
D’une enfance blessée, d’un cœur qui se mutile

Et de sa douleur même induit une musique.
Voici, en quelques heures, sur la pellicule
La trace d’un destin offert au cœur de l’homme
Dans l’opiniâtre lutte où tenter d’exister,

Sans jamais se corrompre, ou jamais renoncer.
Amputé de lui-même en son exil à Rome,
À Londres ou à Paris ce maître majuscule
Irrigue la pensée d’une onde nostalgique.

C’est comme un songe étrange, intime en l’âme obscure,
Passager d’un temps propre où le réel s’incline
Plié par une main qui forge sa durée
Et tourne nos regards vers un monde intérieur.

Personnages menés, ainsi, par le passeur,
Nous parcourons, songeurs, une cime épurée
Où, dans la créature, le créateur décline,
En un verbe extasié, l’insondable murmure.

juin 2006

Dialogue entre Andreï Tarkovski et Tonino Guerra extrait de "Tempo di viaggio", 1983

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