Tombeau de Robert Lynen

Publié le par Lionel Droitecour

... L’enfant et le vieil homme, aujourd’hui disparus, ont sombrés dans l’oubli quand survit leur image ...

... L’enfant et le vieil homme, aujourd’hui disparus, ont sombrés dans l’oubli quand survit leur image ...

Qui se souvient du nom, des tâches de rousseur,
De la frêle silhouette de Robert Lynen,
De son bagout gouailleur de petit parisien
Qui mourut à vingt ans torturé, fusillé ?

Son ombre en noir et blanc, filmée par Duvivier
Et que la pellicule anime, nous revient.
Frondeur, désespéré, Poil de carotte y mène
Crânement son destin face à l’aigre froideur

D’une mère abhorrée, d’un père qui l’ignore.
Massif, lourd et puissant, face au gosse, touchant ;
Harry Baur, impérial, campe son personnage
Et, laconiquement, s’impose, retenu.

L’enfant et le vieil homme, aujourd’hui disparus,
Ont sombrés dans l’oubli quand survit leur image,
Un geste, une expression, comme un soleil couchant
Figé dans un métrage où sommeillent des corps.

La faucheuse à l’ouvrage, aux guerrières instances ;
Auxiliaire zélées du nazi plein d’orgueil,
Les a couché tous deux sous le marbre funèbre.
Etrange destinée qui les a réunit

Aux portes du tombeau l’un au seuil de sa vie
L’autre au soir de son âge ; l’un adulé, célèbre
Et l’autre adolescent quoiqu’au bord du cercueil.
Le plus jeune tué pour faits de résistance

Et le vieux comédien naviguant en eaux troubles,
Dénoncé, calomnié, honteusement spolié.
Si le film a vieilli, qui porte leur éclat
Ils demeurent tous deux, témoins d’un autre temps,

Prémices douloureux en cet amer printemps
Jadis promis au meurtre, à l’absurde fracas
Où la guerre à conduit le gamin, l’écolier
Face au vieillard chenu où la mort se dédouble.

Et l’émotion culmine en la scène poignante
Ou un père affolé retient son fils pendu :
« Pourquoi, pourquoi », dit-il, et, l’un l’autre brisés,
Renaissant à la vie, renaissant à l’amour,

Devant l’éternité furtive, au contre jour,
Que l’écran leurs procure ; impriment, irisés
De lumière et de vie, l’humanité perdue
Dont l’écho nous émeut comme une fleur ardente.

septembre 2007

 

Julien Duvivier (1896-1967)

a filmé deux adaptations du roman de Jules Renard.
« Poil de carotte », film muet, en 1926, puis une nouvelle version, parlante, réalisée en 1932. Le rôle de Mr Lepic y est tenu par Harry Baur, qui donne la réplique au tout jeune Robert Lynen. L’un et l’autre disparaîtront au cours de la seconde guerre mondiale.
Harry Baur (1880-1943), qui s’était compromis avec l’occupant, allant jusqu’à tourner un film à Berlin en 1942, fut néanmoins arrêté par la gestapo sur de fausses accusations, détenu pendant 4 mois avant d’être libéré, pour décéder des suites de son incarcération le 8 avril 1943.
Robert Lynen, né en 1920, après avoir été remarqué par Julien Duvivier, devient grâce au succès de « Poil de carotte » un enfant vedette du cinéma français des années 1930.
Membre de la résistance, il sera arrêté à Cassis en 1943, condamné à mort et fusillé à Karlsruhe le 1er avril 1944. En sa mémoire, la Cinémathèque de la Ville de Paris devient la Cinémathèque Robert-Lynen le 3 février 1967.

Publié dans Cinéma

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