Au seuil de vos paraîtres
Fendu, ventru, pansu, sans grâce, portant beau,
Ce pot de terre cuite, humble dans la cuisine,
Jadis, où mère-grand dressait des fleurs séchées.
Silhouette familière aux formes ébréchées,
Mais qui nous ravissait, alors, cousin, cousine,
À l’heure du goûter, le cœur toujours nouveau.
Car il était orné d’une image naïve,
D’une eau bleue de faïence ajourée d’ocre brun,
En ses bords, appuyées, étaient deux lourdes anses.
Un dessin, comme ceux que tissaient nos enfances,
Paysage de paix et de douceur empreint,
Figuration modeste à notre âme chétive.
Tracé comme à la hâte et d’une main peu sûre,
D’un lavis délavé mais comme transparent,
Sous un ciel gris quelques buissons et deux maisons.
Et, comme un paradigme à toutes nos saisons,
L’artisan d’autrefois, dans ce calme apparent,
Avait dépeint la vie sur l’antique masure.
C’était le vol des grues, stylisé, presque abstrait,
Signal aux migrations des maçons de la Creuse,
Et de mille destins la simple évocation.
Rêve, poète, va ! N’est-ce ta vocation ?
D’autres ne verraient là nulle séquence heureuse :
Sur un vase grossier, un rustre fit un trait…
Il est pour moi un monde en cette image peinte,
Des bruits et des odeurs et de tendres visages,
L’amble du souvenir ou son galop songeur.
Ma candide moisson, à mes joues la rougeur,
Et la tendre affection de ces anciens rivages
Où le temps a mordu et laissé son empreinte.
Et puis tous mes absents, tous mes chers disparus,
Tous les chemins perdus, désormais sous la ronce,
La musique occitane en la langue des vieux.
Hélas ! Il n’est plus là ce regard malicieux,
Cette lèvre moqueuse et qu’un rire défronce,
La cabriole vive et nos sauts sur les rus.
Vos regards sont passés sur cette poterie,
Reléguée au rebut dans l’ombre d’une grange.
Ma tante la sauva, jadis, en cette ruine.
Il demeure, latent, devant moi qui rumine,
Je l’ai photographié, je m’en donne le change,
Il porte le discours de ma rime aguerrie.
C’est la façon que j’ai de vous rester fidèle
Mes âmes, mes aïeux, mânes de mes ancêtres,
Mausolée de mon verbe en vain panégyrique.
Vous fûtes dignement de ce grand chœur lyrique,
Je m’inscris en rumeurs au seuil de vos paraîtres
Dans le vol d’un oiseau fuyant à tire d’aile.
janvier 2014