Humble matrice
Elle a voyagé sur ma peau,
La cicatrice d’autrefois,
Celle de ce coup de ciseau
Porté d’un geste maladroit.
Parmi les rides, désormais,
Presque invisible, trace éteinte,
À l’effacée elle dormait,
Echo d’une ancienne complainte.
On se raconte et on se ment,
Mémoire est miroir aux alouettes,
Prend à témoins le firmament :
Tes certitudes sont muettes.
À soi-même on est inconnu,
Le passé n’est qu’une équation,
Jamais ne m’y suis reconnu,
Etranger toujours en faction.
À celui-là qui nous attend,
Demain pour sortir de nos corps,
Ce temps qui n’est qu’un charlatan,
On invente un nouveau décor.
Avenir fait de poudre au yeux
Qui se trame en notre agenda,
Demain sera à qui mieux-mieux,
Projet que réel amenda.
Mêlant espoir et ridicule,
On en fera sa résonance,
Dans le corridor minuscule
Où languit, pâle, notre chance.
Fronce des cieux plein de dédain
Notre âme, fumée dans l’éther,
Ira, couché sous notre andain
Dans l’infortune délétère.
Nos pas ne marquent pas la terre,
La vie s’écoule de nos veines,
Sans force, à courre sur notre erre,
On chasse, amer, de mornes peines.
Hélas, elle nous joint toujours,
L’angoisse et ses tristes querelles,
Disputes sont aux contrejours,
Nos amours jamais éternelles.
À se construire sur un manque,
On est une sorte de dette,
L’huissier que nous envoie la banque
À chaque instant fait notre emplette.
Ainsi l’on existe à crédit,
Passager sur la corde raide,
De nos rêves le discrédit,
Quand l’orée nous devient plus laide.
Alors on danse sur son fil,
On bâtit, on trame, on rapièce,
Chaque seconde est un exil,
Aux flonflons d’une fausse liesse.
Aveugle, à son propre tempo,
On agite son métronome,
Au quiproquo de notre appeau,
Attirant le songe qu’on nomme.
Ce désir est en fin de compte
Celui de se savoir aimé,
Lambeau du livre de la honte
Parchemin de fiel parsemé.
Et c’est comme une cicatrice,
Qu’on cherche sous notre oripeau
De peau, chimère, humble matrice,
Promise au vide du tombeau.
novembre 2013