En la foule éponyme
Je ne suis qu’une ébauche à devenir encor,
Inaboutissement au tragique de l’âge,
Si peu de temps me reste avant que le naufrage
Engloutisse à jamais l’étrave de ce corps.
Et je n’ai rien construit du rêve que je fus,
Prémisse au ciel serein d’un possible destin,
Convive inattendu qui n’a part au festin,
Humant de loin les plats, d'un cœur humble et confus.
Je n’avais pas le goût des ors et de la fête,
Nulle envie, nul désir de la première place,
Jouer des coudes pour être en la bonne grâce
Du prospère puissant à la panse replète :
Non, j’ai pour mon honneur d’autres intransigeances.
Fortune, donc, adieu, je ne suis ton féal,
Je me contenterai d’un obscur idéal,
Muse, et de l’apparat où vont tes allégeances.
Et, sonneur de rimaille aux quatrains en miroir,
Je taille mes appeaux dans un roseau songeur,
Mes grappes sont de mots, j’en suis le vendangeur,
Ce petit vin de soif, en moi, chante l'espoir.
À ce prix je veux bien n'être en rien éponyme,
Tel poète sans voix au chapitre du monde,
Ni rajouter mon bruit en l’absurde faconde
Où pérorent les gueux en la foule anonyme.
Le silence me sied, où nulle ombre me nuit,
Je compose en ces lieux ma musique discrète,
Et son tranquille cours m’est une onde concrète,
Qui berce les élans que la lune éconduit.
Pareil à ce Pierrot au cœur mélancolique,
Une plume à la main, et ma chandelle morte,
Je n’ose ici-bas frapper à aucune porte,
Passager de l’oubli sur la place publique.
Serai-je un jour publié en quelque vain livre,
Notice biographique où le néant propice
Avalera mon nom, autant que je m’y glisse,
Abime consenti, enfin qui nous délivre ?
Je ne suis après tout, déjà, qu’une illusion,
Mourir et se dissoudre enfin dans l’univers
Matériaux improbable où s’inscrivent des vers,
Ce n’est qu’un battement au sein d’une fusion.
Je ne m’adresse à vous, certes, frères humains,
Que par la prétention que j’ai de ma démence,
La camarde à tout prendre, œuvre en toute clémence
Qui décharge à jamais le fardeau de nos mains.
Et si l’éternité, demain n’existe pas,
Si les dieux déjà mort n’y ressuscitent guère,
J’aurai satisfaction de n’être point grégaire,
Le vide est ma boussole, absence mon compas.
janvier 2013