Humeur latente

Samuel Beckett, (1906-1989), auteur de "En attendant Godot"

Un peu de moi, encore, en ces bribes volages,
Un peu de mon courroux dispersé à tout va
Et ma vie qui s’écoule aux charrois du moment,
Danaïdes, tonneau à jamais mis en perce.

C’est de cette illusion que notre cœur se berce,
Il s’invente une étoile dans le firmament,
Cette lueur, jadis, que notre espoir trouva,
Fumeuse aux chandeliers des ultimes sillages.

Mais on sait, désormais, que la nuit est plus forte,
Vagabonde, notre âme n’a plus de saison,
Quand l’avenir ce gueux en ses humeurs percluses
Se gausse de nos corps que l’âge vient honnir.

Au-delà d’une acmé on ne peut s’abonnir,
Le songe est évadé de nos maisons recluses,
Vivre devient parfois le seuil d’une prison,
Dans un affreux silence qui nous réconforte.

Ainsi tout se réduit aux rives de l’attente,
Godot viendra peut-être ou bien ne viendra pas,
Qu’importe, la jetée se perd à l’horizon,
La mer est ce fardeau que brasse un vain remords.

Le cœur en sa battue s’efface et n’en démord,
Et l’on se fait, stupide, inepte une raison,
De sa propre rigueur l’ego bâtit son pas,
En ce continuo qu’est notre humeur latente.

octobre 2015