Racines de l’exil

Publié le par Lionel Droitecour

... Je songe à tout cela devant ton corps gracile, / Enfant qui vient de naître et rit dans ton berceau ...

... Je songe à tout cela devant ton corps gracile, / Enfant qui vient de naître et rit dans ton berceau ...

1.
Le petit enfant dort et c’est une corolle,
Frais pétales, jonchée dans son petit lit blanc,
Murmures dans l’orée qu’il peuple me comblant,
Son doigt menu, pistil, que ma lèvre cajole.

Rêves-tu enfançon que je regarde bruire
Quand, sur le fin rideau de ta paupière close
Je vois battre tes cils et qu’éveiller je n’ose
De crainte d’écourter l’éclat que tu vois luire ?

Et je t’invente un monde où tu viendras fleurir,
Je te fais des serments – saurais-je les tenir,
Je me veux dédicace aux pages de ton livre...

Hélas ! La vie nous mène ainsi qu’un bateau ivre
Et son courant nous traine en le commun vulgaire :
Oh, comme je voudrai t’épargner le grégaire !

2.
En l’aube mon joli, où calme tu reposes
J’aimerai tant tracer un chemin pour ta vie
T’épargner la colère et le doute et l’envie
La peine, les chagrins d’implacables névroses !

Pourtant je sais déjà le lot d’incertitude
Et l’angoisse qui prend le cœur à la dérive
Et le manque qui naît de l’absence qui prive
Ce que tu méconnais de ce monde si rude !

Miniature en mes mains, tu me parais si nu
Je me sens fort et faible à te sentir, ténu,
En cet élan vital qui fait que tu respires ;

Que tu règne sur moi de tes frêles empires
Et que sous l’arc en ciel de ton regard profond
L’orbe de mes années s’incline sur ton front.

3.
Il y aura tant de jours en l’émoi partagé
Dans cette intime bonde où le bonheur existe
En la simple rumeur et quotidienne piste,
Sente cent fois relue dans le soir soulagé.

Il y aura des cris et le renoncement
Ce feu au creux des reins qui parfois nous habite
Et fait que l’âme danse et que le cœur palpite
Aux simples joies d’aimer encore, innocemment…

Oh, je me souviendrai longtemps de ce sourire,
À ta lèvre, ce mot que tu ne savais dire
Et puis ce premier pas comme une élévation,

La distance, soudain, puis la révélation
De ce que tu deviens, frémissant au matin
En la table dressée des mets de ton festin.

4.
Et puis je sais déjà qu’un jour je serai vieux,
Espérant ta venue dans la courbe de l’heure
Et guettant de ton pas l’écho dans ma demeure
Comme l’arbre assoiffé guette le ciel pluvieux.

Tu portes cet instant sur ton front pur et beau :
Nous saurons, toi et moi, ce que l’amour exile.
Je songe à tout cela devant ton corps gracile,
Enfant qui vient de naître et rit dans ton berceau.

Et sous la tendre joie qui maille mon désir
Je sens la nostalgie piller le souvenir :
L’avenir, au passé, emprunte un vaste élan !

Et le bonheur au doute en moi va se mêlant…
Ainsi le pèlerin, ignorant du sanctuaire,
Serein, poursuit sa route, heureux, mais solitaire.

avril 2010

Publié dans Enfance

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