Nulle déesse

Publié le par Lionel Droitecour

" ... L’Hadès au seuil de l’écritoire / Où cette page, en vain, se froisse... "

" ... L’Hadès au seuil de l’écritoire / Où cette page, en vain, se froisse... "

C’est ma dérive. Sur mon erre,
Un jour de plus, voiles carguées,
Je vais à l’amble, sans dessein :
Avance, va, mon vieux navire.

Ici, dans l’aube qui chavire,
En ce bas monde, dans son sein,
Toutes mes amarres larguées,
De longtemps, je n’ai touché terre.

Ile déserte en ma personne,
Que nul estran ne vient combler,
Épave laminée des vents,
Membrures sèches, délavées.

Là sont mes misaines crevées,
Dépenaillées, vagues auvents,
Là je me viens désassembler
Où mon vain poème résonne.

Et, dans mon antre solitaire,
Stylite, ermite, vagabond,
Sans voyage j’ai mes errances
En la nuée qui me confond.

Là demeure un désir profond,
Inabouti en mes fragrances,
L’élan de mon prochain rebond
Libéré de mon chant grégaire.

Ce sera ma suivante extase,
Aux infinis de l’horizon,
Corpuscule, matière, flamme,
Fusion d’un éternel déchant.

Mais que m’importe en ce couchant,
S’il est un ciel, s’il est une âme ?
L’absence est ma seule raison,
Mort je serai en cette stase.

Fini en cette infinitude,
Evaporé, hors ma prison,
Dilué dans les alluvions,
Sable en le sablier du temps.

Il ne sera plus nul printemps
Sur cet astre où nous élevions
Nos regards en chaque saison,
Mesurant notre solitude.

Fluide au fluide universel,
En de cosmiques apparences,
Où sera donc ce que nous fûmes
Ce clos un instant cultivé ?

Au champ d’un éther activé
Peut-être aux harmonies posthumes,
Le manque seul en nos carences,
Et rien pour le spirituel.

Au-delà du sens une offrande
Au-delà d’un geste, parole,
Au-delà du verbe silence
Et le vide pour contenant.

Vibrionnant en ce ponant
En l’ultime déliquescence
Une impossible parabole
Au seuil d’une détresse grande.

Mais je veux ignorer l’angoisse,
Délibérer en mon prétoire,
Aussi longtemps que le langage
En moi fera la différence.

En l’espoir nulle préférence
Nulle déesse en nul parage,
L’Hadès au seuil de l’écritoire
Où cette page, en vain, se froisse.

avril 2015

Publié dans Spiritualité

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