Dépourvu de son ancre

Publié le par Lionel Droitecour

... Mon navire échoué dépourvu de son ancre, / Je serai le comptable de ma déchéance ...

... Mon navire échoué dépourvu de son ancre, / Je serai le comptable de ma déchéance ...

Il est une rumeur en l’ombre où je m’incline,
Comme le chant amer d’une ancienne comptine.
Où sont passées du temps, les promesses intimes,
Secondes, par milliers comme des millimètres ?

Se sont accumulées, vives sous nos fenêtres,
Aussitôt disparues nous imposant leurs dimes,
Ces rides à nos fronts que le passé lacère,
Et l’avenir accroit en sa courte resserre.

Comme chacun je ploie sous cette lourde obole,
Parole tricotée en vaine parabole,
Mon verbe ici se perd et fuit en chaque instant,
Coque crevée de mots que l’abîme interpelle.

Paré pour le naufrage, ainsi la caravelle,
Je cherche au bord du monde un asile inconstant,
Avant le gouffre enfin, où se taisent nos jours,
Irréels avatars de nos mortels séjours.

Maître sans nul langage, un seuil nous asservit
Aux battues de l’horloge ; à jamais desservi,
Le banquet de nos vies se termine en nausées,
Un haut le cœur nous prend en cette absurdité.

Nous n’existerons plus en nulle éternité,
De nos impérities nos larmes sont causées,
Le chagrin déposé en l’urne funéraire
Est bien le seul tribut de notre âme grégaire.

Une date gravée pour borne à notre histoire,
Mon vain galimatias laissé sur l’écritoire,
Et la bruine à venir pour diluer cette encre
Sur le papier jauni d’un livre inaccompli.

Dans l’espace et le temps, improbable repli,
Mon navire échoué dépourvu de son ancre,
Je serai le comptable de ma déchéance
Naufrage dépravé de sa propre béance.

décembre 2015

Publié dans Le temps

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