Fragrances salines
1.
J’ai toujours en mes mains une grosse valise,
Je l’emmène avec moi, partout je la trimballe.
Pourtant nul ne la voit, mais seulement, mon dos,
Courbé dessous son poids, montre que je fatigue.
Je cache bien mon jeu, je mène mon intrigue,
Tous mes petits secrets derrière mes yeux clos,
Je les déguise, les arrange, les emballe,
Mon silence est la marque qui les avalise.
J’aimerai bien trouver un lieu pour la poser,
Dans ma maison petite elle prend trop de place,
Et mange mon désir et mon insouciance,
Chaque heure est un travail dont la course m’épuise.
Où donc est de la vie la fontaine où l’on puise,
Libre, le front joyeux, le cœur plein de confiance,
Quand le rire à nos yeux est une belle trace,
Où la fête d’aimer, bavarde, vient gloser ?
2.
Il me semble pourtant qu’en un lointain passé,
Sur une rive ancienne humblement adoubé,
J’ai connu le bonheur, instance quotidienne,
Ferme et légère main pesant sur mon épaule.
Et j’ai construit ma vie au mitan de ce pôle,
Dans le ressouvenir d’une âme sur la mienne
Un instant concertée, à mon flanc radoubé,
Navire où le jusant clapote, compassé.
Depuis, telle une épave envasée en sa flaque,
J’attends l’accastillage. À contempler le large
Aux fragrances salines, morne randonnée,
Il me vient le remord d’un possible voyage.
Et je flotte incertain aux mâtures de l’âge
À vergue lamentable, voile abandonnée,
J’espère un aquilon comme une ultime marge
Où l’élingue en mon cœur, imperceptible, claque.
Lionel, 23 juillet 2013