Le vélo de mon père
Le vélo de mon père était robuste et noir.
Il avait bourlingué par les rues de la ville,
Promenant ma frimousse en la vaste carriole
Qu’il attelait, bonhomme, au crochet sous la selle.
Il achetait son vin en vrac, à l’entrepôt
Où je l’accompagnais, parfois, gentil marmot
Qui s’étonnait de tout en entendant les hommes
Plaisanter à grand bruit, bavards, devant les fûts.
Il menait avec lui la bombonne pansue,
Verre vêtue d’osier, qu’un gros bouchon de liège
Habillé d’un chiffon fermait. Tendre moustique,
Innocent et rêveur au milieu des barriques
Le nez pris, entêté par l’odeur des vinasses,
Je riais avec eux qui goûtaient de concert
Ces petits vins de table « Eh, ma foi, ils sont bons ! »
Et puis l’on revenait, joyeux, cahin-caha
Mon père pédalait, en danseuse, debout
Pour surmonter l’affront d’un petit raidillon
Et je n’ai jamais su, les mains sur le guidon,
Assis à l’amazone en la roideur du cadre,
Si c’était le surpoids du vin dans la bombonne,
Ma petite personne entre ses bras nerveux,
La côte ou bien encor quelque mystère étrange
Qui faisait que, parfois, nous n’allions plus très droit.
août 2006