En nos déserts humains

Publié le par Lionel Droitecour

Víctor Lidio Jara Martínez (San Ignacio, 1932 - assassiné à Santiago, Chili, en 1973)

Víctor Lidio Jara Martínez (San Ignacio, 1932 - assassiné à Santiago, Chili, en 1973)

S’il faut que je m’oublie dans la presse du monde,
S’il faut que j’organise, en sa futile ronde,
Un carnaval menteur de proses sans substance
Pour enfouir en mon âme une mortelle stance ;

S’il faut vendre toujours, mercenaire du temps,
Ces doutes, si prégnants, opiniâtres constants,
Qui font de nous des gueux affamés d’illusions,
Abrutis par l’extase des télévisions ;

Apparence toujours projetée au néant,
Vers un sombre négoce, en un chœur malséant
Chanter le vil refrain honteux des multitudes,
Jusqu’à ne plus penser, en mornes hébétudes ;

Et, jusqu’à s’ignorer dans ce corps périssable,
Endiguer le dégoût de ce réel minable
Pour s’étourdir d’un jeu, qui n’est qu’une défaite,
Dans la creuse injonction de l’éternelle fête ;

Et puis toujours plier devant l’ordre des choses,
Où la banque rapine en fourbissant ses gloses,
Aidée par le puissant qui chante sa louange
Et puis va au guichet récupérer le change ;

Etre ce passager, dans la soute crasseuse,
D’un naufrage promis à la coque poisseuse
Du navire sans but, où le profit puant,
Amassera ses gains en nous exténuant ;

Si je n’ai d’autre issue que la lutte de classe,
Sans rien croire de ceux qui en font une châsse,
Mortel abécédaire et miroir aux alouettes
D’un communisme éteint dans le sang des poètes ;

Avec ma dignité pour unique apparat,
Pour l’ultime défi, comme Victor Jara,
Sans rien attendre, enfin, espérer ni vouloir,
Et parce qu’une flamme est belle dans le soir,

Au profond de la nuit quand rien ne nous éclaire ;
Nous seront cet éclat, camarade ou bien frère,
Pour témoigner de l’homme en nos déserts humains
Et tenter l’utopie à naître dans nos mains.

décembre 2012

Publié dans Citoyen

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