Murs du temps
Il faut entrer en résistance,
À chaque heure, en chaque minute,
Vivre est cet écueil, au néant,
Battu sans cesse d'un brisant.
On n'existe qu'en s'opposant
Face à cet abîme béant,
Composer, refuser la lutte,
C'est s'offrir à la déchéance.
Il ne s'agit pas de gagner,
D'entonner le chant de victoire,
Mais, ferme dans l'adversité,
De brûler, si reste une mèche.
Tant d'épaves en cale sèche,
Rompues devant l'immensité,
Qu'une veille, au vent de l'histoire,
Disloque à force de stagner.
Il faut tenter la houle brève,
Vibrer de chaque coup du sort,
Ne pas renoncer à soi-même,
Crissant, scrupule sous la meule.
Certes, cette aune nous esseule,
Au chant secret d'un vain poème,
En la métrique de la mort
Qui nous assiège sans relève.
Qu'importe où le ciel nous escorte,
Qu'importe solitude vaste
Et l'ambitus de ce silence
Aux boucans où sombre l'espace !
Pour autant que guette une trace
En nous, de cette intime stance,
Liberté est notre seul faste,
L'âme soumise est âme morte.
Si ténu que soit le sillon,
Si léger que soit notre souffle,
L'instant appelle la semence,
Le cœur bat pour d'autre parcours.
Certes ce n'est là qu'un discours,
Il n'est de port en délivrance,
Et le réel est un maroufle
Qui nous mène en son tourbillon.
Nous ne savons rien de la rive,
Mystère à quelques encablures,
Le regard porté vers la nue,
N'est qu'une jauge pathétique.
C'est là notre seule mystique,
Le seuil de l'espérance nue
Qui façonne les immatures
Du songe où va notre dérive.
Car on rêve plus que l'on vit,
On se marmonne un boniment,
On se fabrique un rôle étrange,
Vanité en notre mouvance.
Dans le déclin de l'espérance,
Ainsi la vieillesse nous change,
Rien ne reste finalement,
Servile du temps qu'on servit.
Et, raillé par un dol latent,
Dans l'amertume du remord,
Le joug nous courbe vers le sol,
Bernés, sans plus de consistance.
Il faut entrer en résistance,
N'accepter de baisser le col,
Défier le roquet qui nous mord
Et se briser aux murs du temps.
février 2014