Les Italiens

Publié le par Lionel Droitecour

Giuseppe Pellizza (1868-1907), le quatrième état, détail

Giuseppe Pellizza (1868-1907), le quatrième état, détail

Ils parlaient tous les deux avec un fort accent,
Et la langue italienne à leurs lèvres chantait
Encombrant leur français de formules bizarres.
Ils cultivaient jardin à coté de mon père :

« Ce sont de braves gens » disait-il, souriant
Et, souvent, ils trinquaient, la besogne achevée,
Discourant à grand bruit en des exclamations
De la rave ou du chou ; formant plan de bataille

Contre le doryphore ou l’armée des limaces ;
Échangeant les puissants secrets de l’empirisme ;
Alliant, pour l’occasion, les Apennins farouches
À la rive paisible où le Cher s’endormait.

De lui je ne sais plus l’allure ou le son de la voix.
Mais d’elle, forte femme et tout de noir vêtue
Le sourire est resté gravé dans ma mémoire,
D’un geste qu’elle fit. « Il faut aller la voir »

Disait mon paternel de son ton sans réplique
Alors que je montrais bien peu d’empressement
À répondre à l'appel. Gêné, embarrassé
Plutôt qu’à contrecœur, ne sachant trop comment

Me tenir devant eux, j’allais donc en visite
Entre plants et semis. À l’ombre elle attendait
Dans la baraque de jardin, comme en prière.
Elle dit quelques mots que je ne compris pas

Et posa dans mes mains un cœur plein de bonbons.
Confus et rosissant, je dis « merci madame »
Et sans me dérober je pris deux gros baisers
Qu’elle mit sur mes joues. « Tu lui as fait plaisir,

C’est bien », me dit papa lorsque je lui revins.
Assis sur la brouette, rêveur je contemplais
La boite de fer blanc sous son regard aimant.
Il épongeait son front avec un grand mouchoir,

« Je leur avais rendu hier un petit service,
Trois fois rien, mais, vois-tu, ils voulaient me payer !
Tu penses, j’ai dit non ! Allez, donne-m’en un,
Qu’ils voient qu’on est content » Et, par-dessus la haie

Il crie « C’est qu’ils sont bons ! ». J’étais bien jeune encore,
Mais de cette leçon qui lors me fut donnée
J’ai retenu le sens, tentant de l’appliquer.
Dans la cabane en bois où séchaient les oignons,

Aux senteurs épicées où se mêlaient en vrac
Des odeurs de terreau, d’engrais et de fumures,
Assaillis par des goûts et des mots étrangers
J’ai su qu’il fallait tuer en soi le préjugé

Et s’offrir sans mystère à celui qui espère.
« Il faut aimer les gens », disait souvent mon père,
« Aider si on le peut et ne rien en attendre. »
C’était là sa droiture et ce fils prolétaire

De la classe ouvrière abhorrait le discours
Du racisme assassin qu’il avait combattu
Aux pentes des maquis. Je n’ai pas su garder
Son humble savoir faire, jardinier du dimanche

Et maigre est ma récolte, où je cultive encore,
Aux champs du souvenir, quelques fiers apartés
Qu’il a gravé en moi avant que de s’éteindre
En regardant le ciel, serein devant son juge.

août 2006

Publié dans Souvenirs

Commenter cet article

I
Ah il est magnifique, celui-là... Grazie mille, cher ami !
Répondre