Pater
Je me souviens de toi comme un tas de chiffon,
Dépouillé par la mort de ta pauvre prestance,
Etranger devant moi dans le cercueil ouvert
Au factice apparat de ce funérarium.
Non, tu n’étais plus là dans ces restes mortels,
Ta voix, ta gouaille, ainsi que tes vaines colères,
Ce caustique sourire et ta vieille carcasse
Emplie de calembours éculés de longtemps.
Et ce lot de chagrins que tu trainais toujours
Qui courbait ton échine décavée par l’âge,
Toi qui, digne, fit face au tenace malheur,
Et tant de fois au deuil passé devant tes yeux ;
Ton cœur adolescent placé devant la guerre,
Ton modeste courage opposé au fascisme
Jadis dans les maquis où tu faillis mourir,
En soutenant l’ami qui peinait à te suivre ;
Et ta belle vigueur dévolue au travail,
Cette simple rigueur aimant la belle ouvrage,
Tes errances, aux bois, à chercher le bolet,
La trompette des morts ou le pieds de mouton ;
Et souvent l’incartade en les rives aqueuses,
Une lance à la main maniant le moulinet,
Pour, du leurre, tromper ton vieux compère esox,
Sa commère fario ou la perche solaire ;
Enfin tout cet amour écrit sur ton visage
Et donné sans compter à l’enfant étonné
Que je fus en tes mains d’ouvrier droit et dru,
Qui semait au jardin son cœur au chœur du monde :
Non, rien de tout cela dans la caisse en sapin,
Dans tout ce formica de vaines convenances
Et j’ai haï ce lieu où tu n’était plus là,
Déjà, malgré ce corps où tu n’habitais plus.
Je n’ai d’autre recours, aux lignes du poème
Que ces mots pour dresser rempart devant ma peine,
Et tresser ma couronne d’humbles fleurs des champs
Pour ceindre ton front mort de mon chant murmuré.
Et dans l’ombre où je suis, où tant d’ombres prospèrent,
Je fais un mausolée de rimes singulières,
Un catafalque orné des vestiges d’un lierre
Comme un chêne abattu nargue encor la lumière.
Voici, je ne suis plus en la sombre ténèbre,
En la pompe glacée d’une stance funèbre,
Tu n’as voulu ni croix, ni prière, ni tombe,
Ta cendre dispersée ensemence le ciel.
Il n’est point de journée, au rite calendaire,
Il n’est de lieu marqué en quelque cimetière
Où j’ai besoin d’aller pour honorer tes mânes,
Tu as pour monument l’immensité des nues.
Mon songe est visité par l’émoi de la muse
Mieux qu’en la sépulture y retrouve ton rire,
Le vent porte ta voix qui souvent me revient
Et se grave en mon nom aux delà des brisures.
Et je suis ta demeure, en l’écho de tes jours,
Comme tu fus la mienne en l’aube où tu m’attend,
Mon verbe n’est que fruit de ta parole humaine
Où le néant défait, un instant nous enchaîne.
mai 2012