Ragueneau

Publié le par Lionel Droitecour

Edmond Rostand (1868-1918) Cyrano de Bergerac, la rôtisserie des poètes au deuxième acte

Edmond Rostand (1868-1918) Cyrano de Bergerac, la rôtisserie des poètes au deuxième acte

1.
La déambulation réveille le poète.
Les pas portés sans but, au hasard des allées,
Font d’étranges échos dans sa mémoire inquiète
Qui résonnent, soudain, en ses marches ailées.

On l’appelle la muse, par commodité.
Que sait-on de ces vers, aboutés dans l’espace,
Qu’il capte, griffonneur, en leur fluidité,
Radoteur affairé qui marmonne sans grâce ?

Hélas ! L’heure est passée, quelquefois, sentinelle,
Et l’on reste floué puisque l’onde manquée,
Ressasse un vil espoir comme une ritournelle.

Va, retourne chez toi, vain tireur de ficelles,
Il s’en trouve déjà toute une palanquée
Pour consoler ces voix qui te restent fidèles.

2.
Le poème est en toi cette tendre folie,
Cette monnaie d’échange ou bien monnaie de singe,
Ce parcours adoubé d’une mélancolie
À la table de marque où tu comptes l’enjeu.

Archange du réel ennuyé de son train,
Tu veux brusquer l’appel en injuriant le ciel :
Prospère encore un peu en ce miroir sans tain,
Dans l’image amoindrie, rebours superficiel.

Il est arches aux cieux renversées dans la fange,
Au gré des caniveaux où l’ordure nous guette :
À l’œil qui s’en étonne il faut donner le change.

Voici, sur cet étal où sont mes cheveux d’ange,
Un azur anobli de ma verve muette,
De mes rimes sans nom l’ineffable mélange.

3.

S’il faut les marchander j’en ferai des cornets,
Comme de Ragueneau, l’épouse salutaire,
Qui sentait la sornette où était le sonnet,
De farce enluminant la métrique ordinaire.

En pâtissier des mots j’en ferai mes darioles,
Ainsi ce laudateur de l’amant de Roxane,
Emplissant de versets d’improbables carrioles,
D’obtuses métaphores mon prytane insane.

De ce vade me cum vous ferai mes oboles,
Mon ode, un jour, sera la fleur de ce pensum
Où s’épuisent mes pas, en lentes farandoles.

Vous saurez ici-bas conter mes fariboles,
Oubliant de citer ce pénible bonhomme
Sur sa lyre accroupi, comme sur ses idoles.

4.
J’engrange une moisson dans mon vaste grenier,
Et je puise à plein bras aux vasques de la lune,
Aux journaux d’Alexandre ai fait mon semainier,
Où je note, apaisé, le flot de ma rancune

Je sens auprès de moi une foule contente
Et tant de mains amies pour épauler mes joies,
Le poète est millions, mais seul dans sa soupente,
Solitaire marée, mille âmes en ses voies.

Chaque lettre tracée, telle nouvelle aurore,
Ouvre, en l’éternité, chemin pour le possible,
Le silence en ces lieux, insondable, pérore.

Là, dans l’obscurité, comme le sémaphore
Brane dans l’univers, promesse incoercible,
Mon verbe est cet élan que notre espoir implore.

juin 2011

 

Publié dans Art poétique

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L
un petit coucou en ce samedi gris-<br /> bisous-
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