Onde mutique

Publié le par Lionel Droitecour

... Étrange mécanique au déchant de l’horloge, / Où, plutôt mal que bien, à l’étroit, le corps loge ...

... Étrange mécanique au déchant de l’horloge, / Où, plutôt mal que bien, à l’étroit, le corps loge ...

Le temps est cet espace où le présent perdure,
Mais qu’importe où il fuit, qu’importe la mesure,
J’existe dans l’instant, prisonnier de ce vide,
Où ma geste s’emploie en son cercle livide.

Ce que je suis, céans, n’est qu’une image morte,
Esquisse en ce dessin au dessein d’une eau-forte,
Figée sur le papier, comme en l’état civil,
Qui délimite, à-plat, le seuil de ce bord vil.

Étrange mécanique au déchant de l’horloge,
Où, plutôt mal que bien, à l’étroit, le corps loge
Et fait, d’une battue, le rythme de ses crues,
Où l’âme trame un songe en ces rives écrues.

Mais, aux lueurs de l’aube un doux rêve s’éteint,
L’imparfait du destin nous borne et nous restreint,
On est ce que l’on peut au regard d’une cime
Où l’apogée du sens, peu à peu nous décime.

Alors, en sa routine, au quotidien sans gloire
On inscrit notre compte aux marges d’un grimoire ;
Mémoire, toi l’acmé de l’être en déshérence,
Tu es notre reflet, havre pour notre errance.

Un peu d’encre tracée sur la feuille volante,
Où l’on se tient, amer, au bord de l’épouvante,
Agonie, oh, détresse au pavois de l’abîme,
Où exsangue, la chair s’égoutte, rime à rime.

Et le verbe s’accroche aux parois de l’intime,
Féru de ce débord que la parole intime,
Mais qui pourtant demeure, en l’incompréhension,
Cet écart dévolu à notre dissension.

Dimension du réel aux portes du néant,
Apocalypse, aux cieux, d’un trou noir et béant,
En cet effondrement où la matière, informe,
Culmine en ce moment que l’instant présent forme.

Est-il une promesse, un spirituel élan,
Dans le creuset humain où sombrent, se mêlant,
Le désir et la peur, l’attente et l’espérance,
La certitude, enfin, de notre déchéance ?

Croire est un lieu possible au chemin d’illusion,
Chimie d’une âme en perce, où se berce, effusion,
La patenôtre étreinte au bord de l’infini,
La barge de Charron pour seuil indéfini.

La mort ne sera pas, en soit, la fin du temps,
Seulement le trépas de mon dernier printemps,
Les univers brassant, aux champs des corpuscules
De ce peu que je fus les restes minuscules.

Et s’il faut disparaitre sans laisser de trace,
Comme chaque seconde où notre être s’efface,
J’irai, sans nul remord, dans le vide quantique,
Stase indéterminée, bruire en l’onde mutique.

février 2015

Publié dans Le temps

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