Bist du bei mir

Fac simile de la page de titre du petit livre d'Anna-Magdalena Bach, 1722

« Sous me stère, benne où ne sous m’aille ne roue… »
Ornant ces mots absconds d’un fort accent français
Avec application, il chantait, le garçon.
La note n’était pas des plus justes, toujours ;

Émue, cette voix claire se perdait, parfois,
Le souffle lui manquait à chaque fin de phrase.
Pourtant je l’enviais : un si jeune printemps
Et déjà, sur sa vie la musique de Bach,

Cette précieuse manne, ineffable fragrance
Capable dans la nuit, d’illuminer l’espace ;
Et de tous les chagrins, même en l’ultime port,
De lever l’ancre enfin pour chavirer encore.

Je t’ai connu trop tard, vieux maître de Leipzig
M’approchant, désarmé, de tes vastes autels,
Incapable à jamais de chanter l’anacrouse,
Condamné à gésir où s’ébahit la foule.

Mais tu m’as tant donné, tant de fois consolé,
Tant de fois, en l’inerte, apporté l’espérance,
Que je fredonne en moi, dans mon profond silence
L’aria da capo, la ligne du violon,

L’Allemande, Courante ou bien la Sarabande,
Le thème, révérence, de la passacaille ;
Puis tant d’autre Chorals, sonate rigoureuse
Cantate, tant d’opus en BWV.

Chaque fois, sans faillir, la joie renaît en moi,
Et pareil à l’auteur du livret, je me dis
« Si tu restes avec moi, j’irai joyeusement,
Vers la camarde ainsi qu’en l’ultime repos… »

Comme un petit enfant qui chante et s’émerveille
Sous la voûte, l’abside et l’arche magnifique
Que ta main sut tracer aux lignes des portées ;
Je m’émerveille aussi quand même je sais bien,

Dans le petit livre d’Anna-Magdalena
Que l’air ici copié est l’œuvre de Stölzel :
Tant de profondeurs calmes bruissaient en tes mains,
Tant de fraîche fontaines, tant de sources vives.

Ainsi rasséréné je vais tranquillement,
Tu m’offres l’infini au timbre d’un enfant
Dont l’incertaine voix est semblable à l’épure,
Universelle acmé que la musique enchante.

juin 2016