Lève-toi, il est temps
Il n’est pas d’épopée dans ce siècle sans but,
Rien que se propager dans une morne absence ;
N’exister, passager de sa propre habitude,
Que telle une chair creuse amputée d’idéal.
Etre une voix de plus au sein d’un chœur vénal,
Solitaire au mitan d’une ample multitude ;
Dans le fracas du jour, habillé de silence,
Se sentir peu à peu guidé vers le rebut.
Au terme du séjour, plein d’une humble terreur,
Réaliser soudain qu’il n’est rien à comprendre,
Que le vide est en nous, autour de nous, partout,
Que les dés sont pipés, qu’il n’est point de hasard.
Toute fatalité est le fruit d’un regard,
La blanche soumission fait de nous ce toutou
Qui vient lécher l’écuelle et jamais n’ose prendre,
Ce coupable cherchant ce qui fait son erreur.
Même maître toujours et toujours même proie,
Asservir est le jeu du pillard libéral,
Le croupier sans morale en sa banque s’engraisse,
Le gueux souffre : c’est bien, car ainsi l’ordre règne.
Le mercanti bourgeois, toujours à même enseigne,
Aime qu’à son échoppe une plèbe s’abaisse,
En son registre il tient, continuité du mal,
Son journal de profit en frémissant de joie.
Il n’a cessé, jouisseur, d’emplir son escarcelle,
En sa besace il prend ce qu’on refuse à mille,
Spéculant sans vergogne le prix du labeur
Il pille le travail à l’échine courbée.
Qu’une société meure, en sa glèbe embourbée,
Qu’importe, s’il s’empiffre en éternel gobeur,
Il n’est plus d’héritage et plus de codicille,
Qu’importe de souiller, la partie est trop belle !
Pour le reste, il assure, il a armé ses reitres,
Par l’argent de l’impôt façonné sa milice,
Il ne craint pas la foule et sa révolution,
Son heaume de police est hérissé de fer.
Démocrate pervers il prépare l’enfer,
À flouer le langage jusqu’à dérision,
Républicain monarque en son lit d’injustice,
Il gouverne au mensonge et régit le paraître.
L’intelligence est-elle enfuie de nos contrées ?
Dignité et vertu belles anesthésiées ?
Et l’honneur à l’encan de nos télévisions
Vendu, tel un butin saccagé sous nos pieds ?
Qu’en est-il donc enfin des peuples estropiés
Qui boitent leurs destins en plates effusions,
Avec, aux bas instincts des goules rassasiées,
L’horizon haineux des foules autocentrées ?
Faut-il, dans le malheur, chercher malheur plus grand ?
Faut-il dans la géhenne attendre la cigüe ?
Faut-il désespérer de l’humaine clarté,
Est-il encore un sens au mot de résistance ?
Le poète en ce lieu n’a jamais que sa stance,
Il reste, sur la scène, un modeste aparté,
S’il est parfois prophète en sa rumeur aigüe,
Qui l’entend, désormais, en ce déni flagrant ?
Le veneur n’est plus loin, qui prépare sa meute,
Et de son mercenaire arme et barde la main ;
La violence impatiente brandit l’étendard,
Victimes et bourreaux sont dans le face à face.
C’est par la sujétion qu’on lui laisse la place,
La veule obéissance est un pleutre hagard
Et pleurer sur son sort n’est qu’un remède vain :
Lève-toi, il est temps de conjurer l’émeute !
octobre 2013