Amer caissier
Le ciel rosit, là bas, aux lisières de l’ombre,
La ligne dentelée des grands arbres austères
S’affirme, lentement, dans un vaste silence
Et, dans l’indéfini, quelque chose renait.
C’est le rituel du jour, en soi, qui recommence,
Hier est mort, déjà, tout ce qu’il contenait
S’échappe et la mémoire en retient le décombre,
Presque rien, avanies qui ne sont que chimères.
C’est comme une battue ou un halètement,
Devant cette heure grise où l’espoir est un leurre
L’indécision d’une âme, à jamais en carence,
Colore les humeurs de nos corps immobiles.
Nous sentons tout le poids de notre déshérence,
Chaque jour ajouté à l’autre en nos sébiles
Fait le compte abhorré du vain renoncement,
Et nous n’ignorons plus qu’il est notre demeure.
Alors, en lassitude, on se donne aux mouvances,
On reprend sa rengaine au pas du métronome,
On se range en l’écho d’un vil emploi du temps
Qui gère notre angoisse et tue notre part libre.
Il fut jadis, en l’aube, un éternel printemps,
Une trace en nos cœurs, en une intime fibre,
Se rappelle à ce lieu de nos primes enfances
Dans un remord, parfois, tel un étrange baume.
Mais nous n’ignorons pas que la fête est finie,
Que ce qui nous consume et dans la mort nous jette
Arrive vers son terme, et qu’un pervers huissier
Attend sur notre seuil : il vient rafler la mise.
Les dés étaient pipés par cet amer caissier,
De par son artifice et par son entremise
L’avenir se délite autant qu’il nous renie
Et l’aube n’est plus rien qu’une Parque muette.
août 2015