Tant pis
C’est grisaille, dehors, à petits pas l’automne
Nous mène vers décembre, à gel et à froidure.
Tant pis. La chambre est close, un feu brûle dans l’âtre,
Sur ma lisière encore, il est don du poème.
C’est tant de mots écrits sur mon humeur bohème,
Tant de scène jouées sur l’intime théâtre,
Hélas ! Nul n’en connait, la solitude dure,
Ma pendule blasée inutilement sonne.
Le carillon fêlé d’icelle mécanique,
Aux battues entêtées où la seconde meurt
Me rappelle au présent, bascule d’un futur,
À chaque instant versé dans un passé vorace.
Tant pis. Je grave ici mon impossible trace,
Graphe dans le hors champs d’un invisible mur,
J’y trouve un humble, obscur et fragile bonheur,
Et je cache ma peine au sein d’une métrique.
Chaque hiver, désormais, plus longuement me cache
Le retour du printemps au terme des saisons,
L’espérance est plus vague et l’amertume grande,
La disette d’aimer plus forte que jamais.
Tant pis. Si j’ai perdu le ciel que je clamais,
S’il n’est, aux lendemains, plus une seule offrande
Il me reste ce cœur qui rime ses raisons,
Et ce verbe affuté au tranchant d’une hache.
Je sais bien que la tombe est au bout du chemin,
Que ma course autrefois légère, vagabonde,
Aux sentes escarpées mène ce corps lassé,
Que mes pas hésitants en retardent l’allure.
Il n’est rien en cela que mon espoir conjure.
Tant pis. En ton jardin, muse, où j’ai rêvassé,
Je laisse ce soupir que toute brise émonde,
Et ma feuille envolée, grimoire ou parchemin.
Si la postérité demain m’est importune,
Si quelque cendre éteinte en moi cherche une braise,
Ou même si l’oubli vient enterrer ma plainte,
Que nul écho bavard ne me vienne surprendre :
Tant pis. J’aurai vécu, connu le geste tendre,
Bercé dans mes deux mains l’enfance en cette enceinte,
Enclos mon propre rythme au chant d’une diérèse,
Modeste, de mon timbre, enluminé la rune.
Tant pis si ce n’est rien, tant pis si c’est un leurre.
J’ai façonné le monde au moins, de mon regard,
Bâti ma citadelle au gré de ma parole,
Je ne vois nul remord où l’horizon culmine.
Rien que le sombre éther, que ma voix détermine,
Rien qu’une étrange, absurde et folle farandole ;
En la brume d’un sens que fonde le hasard,
Rien que la perspective où s’efface toute heure.
S’il n’est d’éternité, si tout dieu n’est qu’un songe
Si la matière, en flux, emporte notre absence,
Si rien de nous demeure en germe à nos questions,
Tant pis. L’œuvre est finie, multiple l’univers.
Ma pierre aura roulé sa fortune de vers,
Elimé dans la rime, en interrogations,
Mille prospects inclus aux marges du silence,
Et je n’aurai vanné, sur l’aire nul mensonge.
Certes, j’ai fais le compte de mon ignorance,
Et j’ai si peu compris de ce qu’était ma vie,
Mais je n’ai pas cherché en moi de vaines trames,
Ni ourdis nul complot d’une langue factice.
Tant pis si je n’ai pas régné par l’artifice,
Ni trouvé l’harmonique où s’accordent les âmes,
Tant pis si, vers le seuil où la mort me convie
Je n’ai, pour utopie, aux lèvres, qu’une stance.
novembre 2013