Héritage

Publié le par Lionel Droitecour

Andrea della Robia (Florence 1435 - 1525), buste de jeune homme

Andrea della Robia (Florence 1435 - 1525), buste de jeune homme

1.
L’enfance a un pays misérable et violent
Peuplé d’impressions vagues, de grandes frayeurs,
De sensations brutales, d’un profond silence
À qui n’a pas de mots pour exprimer ses maux.

On se débrouille bien, on se débrouille mal,
On pleure ou on gémit, on tend ses bras, ses mains,
On tente d’exister ailleurs que dans les yeux
De ceux qui nous ont fait, dont l’amour nous engendre

Et pourtant nous contraint. Il y a, dans bien des lieux,
Des sortes de vieillards de cinq ou de six ans,
Exténués par la vie alors qu’à peine éclos.

Ils luttent et se battent, anxieux, sans un cri,
Hantés par un fantôme attaché à leurs pas
Et qui scelle à leur bouche et le rire et l’enfance.

2.
Car d’immenses chagrins habitent peu d’espace
Et l’océan profond a des vagues amères
Dans l’œil des tout-petits condamnés par l’amour,
Destitués et meurtris. On se cherche un recoin,

Une cachette sûre, on ferme sa paupière,
On rêve une autre vie, blessé par le réel,
Loin du monde brutal où l’on n’a pas sa place,
On s’enfuit vers la fausse, infertile chimère.

Mais toujours on revient de l’à-côté du monde
Plus désarmé encore, animal apeuré
Privé de tout refuge, exposé dans le jour…

Ah, cruelle lumière à qui aime pénombre,
Pilori de l’enfant qui ne peut se défendre
Du regard pénétrant de l’adulte qui juge

3.
Et soupèse et projette et trace des ellipses.
Pire est, parfois, l’amour à la haine tranchante
Qui hérisse les corps, trempe comme une lame
L’âme des plus vaillants. Mais les molles prisons

De poisseuse affection qui ne sait se défaire
Du goût des possessions ; le reproche geignard,
La culpabilité maniée comme un poison
Et ces fausses pudeurs, troubles promiscuités,

Ces regards, immiscés au plus secret des corps !
C’est la béante plaie des néfastes amours
Qui condamnent les voies qu’elles devraient ouvrir.

Ainsi comme une friche on pousse en mauvaise herbe,
Et l’échafaud branlant du chantier de sa vie
S’élève comme il peut et l’on croit en finir

4.
Quand rien n’est achevé. Alors on se dévoie,
On cherche son chemin, on bute, on se fourvoie,
On fonce aveuglément vers ce qui nous consume
Et misérablement on reconstruit son joug.

Sans rien avoir appris de nos propres souffrances
On charge inconsciemment la frêle silhouette
Qui croît en notre sein du poids de nos douleurs,
Cette malédiction qui ne doit rien aux dieux.

Absurde parodie de nos tristes désirs,
Dérisoire hypothèque au malheur de nos vies,
Héritage malsain de la violence humaine ;

Défroque, patrimoine inique, ensanglanté,
Que soulèvent nos reins depuis l’aube des temps,
Pour broyer l'espérance aux stances de la nuit.

mai 2002

Publié dans Résilience

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L
Tu es doué...<br /> Tu trouve les bons pour dire les maux ...et autres !
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L
Et , vlan ..!<br /> <br /> Merde au S qui manque, au verbe trouver et le mot qui manque pour donner un sens à la phrase , j'suis allée trop vite !<br /> <br /> HERITAGE !??<br /> <br /> Je vais d'ailleurs aussi relire ton texte plus l e n t e m e n t pour le d é g u s t e r p l e i n e m e n t !