Motetus
1.
Nous fumes au banquet des âmes et des mots,
Sous la voûte où vibrait, en dentelles de sons,
Pure harmonie, la voix de ces maîtres anciens
Dont des plumes, naguère, ont tracé les pensées.
J’y perçu les échos des époques passées,
Du sanctuaire, monter, rémanents, aériens,
Manne en l’éternité froide où nous bâtissons,
Dans un peu de lumière, un songe pour nos maux.
Il s’agissait des Bach, et, dédiés au verbe,
Apanages ornés de leurs polyphonies,
Des entrelacs sereins des chants qui nous élancent.
Emmanuel, Christoph et Sebastian s’avancent
Et, dans l’ombre, reculent ces disharmonies
Dont nos cœurs, esseulés, se dévoient en la gerbe.
2.
Le chœur, comme la mer y composait un lieu,
Une escale improbable en l’antique horizon
Où dans l’aube renaissent, obscures lisières,
Ardentes, comme en creux, de nos vies, les promesses.
Qu’est ce donc qui nous lie au levain de nos liesses,
Où la jeunesse inscrit, comme aux marbres les lierres,
Le rhizome nouveau de sa libre passion,
Au firmament de l’art, comme au chevet d’un dieu ?
Et ce don de l’amour qui transcende les siècles,
Mémoire qui parcourt les générations,
Fragile espace où l’être pense un devenir ?
Traces entretenues, toujours à survenir,
Moire, fruit d'un relent de nos vénérations,
Enigmes dont jamais nous ne gardons les clés…
3.
Car à peine entrevue la vérité s’efface,
L’éther jaloux jamais n’en révèle l’essence,
Et nous nous épuisons à courir sur ses pas,
Vieillards, bientôt, amers devant l’âtre et la cendre.
La seule certitude est qu’il faudra descendre,
Enfin, vers ce tombeau, à la fin du repas,
Convive désarmé que la mort, indécence,
Déguise d’un rictus de son doigt qui nous glace !
Départ en l’infini, vers l’inconnu, peut-être,
Ou cette plénitude offerte à nos raisons
Au rebours d’une strette où le choral s’épure.
Mais là, dans cette forme s’inscrit un murmure,
Contrepoint qui se trame aux trames des saisons
Vainqueur, pour un instant, du doute, ce vain spectre !
4.
Musique, « rechte weg », vérité de l’esprit,
Suprématie du nombre au revers de la nuit,
« Meine freude », ma joie, ma liberté suprême,
Ultime aspiration de mon harassement !
J’écoute tes fragrances dans le firmament,
Dans le grave du soir où j’écris ce poème,
Dans la névrose nue où ma détresse bruit,
Dans le miroir sans tain de ce verbe incompris.
Et, dans de que nous dit ce chœur face au néant,
Dans cette incertitude où je trouve un mentor,
Un maître généreux niant mon désespoir ;
J’enlumine un motet de mon pauvre savoir,
Indigence élevée aux autels du Cantor,
Comme une humble rosée aux pas de ce géant.
août 2010
Au dix-neuvième siècle Le motet à huit voix « Ich lasse dich nicht » (BWV Anh. 159) a été attribué soit à Johann Sebastian Bach soit au cousin de son père Johann Christoph Bach (1642-1703). De nos jours, la paternité en est revenue à J.S. Bach et serait datée de sa période de Weimar (1708-1717).
Il est ici interprété par le Monteverdi Choir sous la direction de John Eliot Gardiner, qui est à ce jour l'un des plus éminents interprètes de la musique de Bach, ce qui n'est pas peu dire...