Où j’ai fait ma maison

Publié le par Lionel Droitecour

Où j’ai fait ma maison

Il ne me fut jamais donné de me rejoindre,
À moi-même étranger je ne fus qu’une errance,

Étoile au point du jour en un ciel déjà mort.

Concrète solitude aux jetées du remord,
Objet de mon délire et sujet de ma stance
Et parmi les poètes, sans doute, le moindre.

Il ne me fut jamais donné de me comprendre
Aux gestes que j’ai fait nulle suite logique,
Et nulle volonté d’une frange idéale.

Être était mon seul bien en la berge létale,
J’ai croisé sans parcours en l’onde nostalgique,
En l’unique vertu où le doute peut tendre.

Pour le reste m’échoit mon lot de finitude
Et cet égarement qu’on nomme le destin
Tragique ou dérisoire au chant de l’infortune.

Il n’est d’autre saison que le rêve importune,
Il n’est d’autre livrée que celle du matin,
Où l’aube recommence il n’est de certitude.

La servitude est grande et nombreux sont nos liens,
La matière est un lieu pour le superficiel
Et le froid et la faim sont les rives du jour.

Le désir est la loi de ce mortel séjour,
Ainsi, tel Prométhée au roc sacrificiel,
On se lie sans appel aux rêves quotidiens.

Sur la sente tracée d’une étrange injonction
Nous portons la parade où s’égarent nos pas,
Sans autre direction que la peur de l’abîme.

Elle guette pourtant chaque nœud de l’intime,
L’épouvante native aux bornes du trépas,
Qui fait de nous des gueux emplis de componction.

Et voici : dans le temple un mensonge scintille,
Fumeuse mèche en feu au sommet d’une cire,
En la voûte sculptée par son obscurantisme.

Un creux ressassement s’induit en fanatisme,
Dieux et maîtres s’entendent pour l’homme réduire
À ce troupeau bâfrant sa propre pacotille.

S’il ne faut croire en rien, qu’est ce qui nous anime,
Quelle quête en nos mains pour tramer le réel,
Quelle justice enfin dont il faut qu’on s’enivre ?

Je ne sais ce qu’il faut pour désirer de vivre,
Pour enfler d’un levain ce monde matériel,
Pour échapper au fiel où le mal nous arrime.

Je n’ai d’autre faction que le cœur du poème,
Cette tourbe de mots dont je fait mon limon,
Où j’erre, enseveli de ma propre parole.

J’ai tracé, par défiance, une humble parabole,
À cet obscur charroi attelé le timon,
Imparfaite équation d’un impur théorème.

Il est en nos abords, marchands de certitudes,
Tant de bavards abscons pérorant aux tribunes,
Pour travestir, toujours, ce mot de vérité ;

Et tant de camelot de courte éternité,
D’idéaux renversés dans des fosses communes,
Et dans nos soirs prostrés, de mornes hébétudes.

Je ne sais nul rempart, non plus de solutions,
À peine je connais le seuil de ma raison
À contempler ce vide où meurt ma dérision.

Je n’ai pour seul domaine en ma propre élision
Que cet étroit lopin dont j’ai fait ma maison
Au poème disert où sont mes ablutions.

décembre 2013

Publié dans Autobiographie

Commenter cet article

U
Un texte magnifique entre émotion et réflexion.
Répondre