Aux crêtes du vent

Publié le par Lionel Droitecour

Daniel Kharitonov, né en 1998

Daniel Kharitonov, né en 1998

Dans le vivant écho des vastes harmonies
La musique, en ses voies, inspire le silence.
Les cordes et les bois, les cuivres en parades
Et la creuse timbale aux puissantes cadences,

Tout cela fait élan, en sonores errances,
À la cause du sens offerte à nos aubades.
Suspendue au point d’orgue il est une présence
En l’indicible appel de nos homophonies.

Multiples et divers, en innombrables cris,
Nous sommes ce limon aux ondes pétrifiées,
Le roc hurle sa masse et l’écueil ses brisées
Au rythme d’une mer berçant ses alluvions.

De ces débordements naissent nos illuvions,
Limites d’horizons sous nos propres risées,
Lignes, en clair obscur, stériles, versifiées
Par le poète abscons consignant ses écrits.

Le poème est le lieu de l’insonorité,
Dans le calme redan de l’esprit qui s’émeut
Gîte l’absence heureuse où tout bruit s’élabore,
Et la trame des jours en suit l’humble contour.

C’est la divagation de l’âme sans retour,
Aux chaudières du temps elle entre et s’évapore,
Tel soupir évadé que l’encre en vain promeut
Pour vaincre l’érosion de l’insularité.

Car il nous faut mourir enfin de solitude,
À ressasser ce verbe où rien ne s’en vient luire,
Stèle à nous même, marbre, insane monument,
Dates mangées de moisissures sous la mousse.

Sur son papier ligné musique ne s’émousse,
Bouton sur l’arbre mort qui renaît d’un moment
Aux rumeurs de l’hiver le doux printemps sait bruire,
Il s'élance bavard en toute plénitude.

Le frestel oublié s’invente des roseaux,
Sous le souffle inspiré de l’interprète ardent,
Et l’antique syrinx hante l’hymne Delphique,
En l’étrange apparat de l’humaine prière.

Ce peu d’éternité d’une faible lumière
Ce vacillant bougeoir en la nuit séraphique
Intime un ciel nouveau à nos cœurs s’accordant
Neuve est l’averse, encore, à nos anciennes eaux.

Mozart à son clavier, sous les doigt d’un enfant,
Et Bach à son violon en son ample chaconne,
L’hymne à la joie toujours, résonnant sous les voûtes :
La musique a vaincu le verbe qui l’imite.

Le rimailleur connaît cette amère limite,
Il fait voile à l’estime en réglant ses écoutes,
Dérive en l’océan où l’harmonie raisonne,
Libre, aux crêtes du vent que sa rigueur défend.

janvier 2014

Video : Mozart, concerto pour piano N° 12 en La majeur, K414,
Daniel Kharitonov, virtuoses de Moscou, direction Vladimir Spivakov

Publié dans Musique

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