Où le silence abonde

Publié le par Lionel Droitecour

Albert Hartweg, À l'ombre d'un hêtre pourpre

Albert Hartweg, À l'ombre d'un hêtre pourpre

Mon âme s’enfuira de moi comme de l’eau,
Je serai ce désert, asséché sous le vent,
Où l’insecte secret bâtit en vain sa toile.

De ce peu de matière évaporé, tantôt,
Mon squelette blanchi, chimère, fera trace,
Fossile désormais en minérale essence.

J’aurai confié ma vie aux feuilles de papier,
Dessinant une idée en limant mes rimailles,
Comme un tas de copeaux en la frise du temps.

Et bientôt le silence, et le vide, et l’oubli ;
Plus rien qui ne demeure en la solaire absence,
Nulle flamme en ce feu ardent qui nous consume.

Au factice théâtre, en représentation,
J’aurai filé ma pièce, absurde au proscenium,
Comme un Lear égaré que sa lyre abandonne.

Et je n’ai nul regret de ces mornes lambeaux,
Pas le moindre remord puisque j’y fus entier,
Mon doute partagé pour l’éloigner de moi.

Le poète n’a pas de soucis de carrière,
Il lui faut humblement s’inscrire, en désarroi,
Au charroi silencieux de son cri sur la terre.

Il est trame aux sillons, aux limons, aux lisières,
Et de son verbe éteint un poème peut naitre,
Il est partout chez lui en l’âme qui l’espère.

Ainsi comme aux nuées, vapeur, elle féconde
Sur un nouvel avril qu’un jeune cœur attend,
Un bouquet de pensées où sont des fleurs vivaces.

À renaître toujours où le sens se fait jour
Je serai quelque part, en cette inspiration
Qu’un être en devenir appellera sa muse.

En ce lieu le poème est fragrance éternelle,
Qu’importe le soupir des impossibles proses
Où son simple désir impose une rigueur !

Oh ! Si dure la rose en l’émoi de Ronsard,
Si ma plainte en la brise emporte son parfum,
La mort sera vaincue malgré son apparat.

En son verbe le deuil n’est qu’un mensonge affreux,
Comme l’épouvantail au milieu des moissons
Qui n’empêche l’azur de picorer ses grains.

Et, semé au hasard en fécondes clartés,
Je serai, au regard de l’enfant qui s’étonne,
Ce mystère absolu d’une forme à saisir.

Ainsi demeurerai, comme un fruit de vigueur,
En l’entière harmonie de l’aube en devenir,
Sous le liseré d’ombre où le ciel vient s’ouvrir.

Je passerai en vous, dans l’orée vagabonde,
Où la fraicheur devient le souffle d’une bruine,
Leger, comme ce chœur où le silence abonde.

janvier 2014

Publié dans Spiritualité

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